Adieu l'océan – Taikarvel

Publié le par Perlune

Après avoir assisté un moment au passage de méduses, spectacle particulièrement raffiné pour les habitants de la mer, sauf pour Earwyna qu’il laissait de marbre, les deux soeurs commencèrent à s’éloigner progressivement. Personne ne leur prêta attention, aussi ne tardèrent-elles pas pour s’éclipser. Dès qu’elle furent à l’abri des regards, Coraline retint sa cadette par le bras et entreprit de lui tresser les cheveux.

 

« Maintenant que j’ai les cheveux courts, je peux passer la forêt de polypes sans trop de risques... Mais toi, il faudra que tu fasses attention. N’oublie pas de bien tenir ta tresse contre ta poitrine pendant que tu nages. »

 

Earwyna ne répondit rien. Elle savait déjà tout cela, après tout n’avait-elle pas atteint la demeure de la sorcière par ses propres moyens, il y avait de cela plus d’un an maintenant ? Sa coiffure terminée, elles se remirent en route, et traversèrent les plaines désolées, ainsi que la tourbière, qui menaient au repaire de la créature. Elles pénétrèrent avec beaucoup de précautions dans la forêt de polypes, se tenant la main, nageant autant que possible l’une derrière l’autre. La petite sirène, qui avait juré de ne jamais revenir dans cet endroit maudit, se retrouvait avec tout autant d’appréhension que la première fois. A deux ou trois reprises, elle crut sentir la caresse visqueuse d’une des créatures sur sa peau ou ses écailles, ce qui la fit sursauter et trembler de dégoût. Coraline, l’air résolu, nageait tout droit, ne ralentissant que pour mieux entraîner sa soeur.

 

Enfin elle parvinrent à la maison en ossements humains. Earwyna sentait une angoisse oppressante monter en elle. Elle n’avait aucune envie de revoir la sorcière des mers, et encore moins dans la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle ne voulait pas se présenter à elle avec son misérable échec, elle ne voulait pas lui faire la joie de lui montrer toute l’étendue de sa détresse. La chaleur que diffusait en elle le contact de la main fraternelle était sa seule consolation.

 

Coraline frappa, et la porte s’ouvrit aussitôt. La sorcière se trouvait à l’intérieur, et vaquait à ses occupations, comme si elle s’était attendue à la venue des deux soeurs. Earwyna déglutit péniblement.

 

« Ca faisait un moment, dit-elle d’une voix éraillée. Quel bon courant vous amène, mes petites princesses ? »

« Nous venons te faire réparer tes erreurs, sorcière ! » assena Coraline avec force.

 

La sorcière s’esclaffa.

 

« Mes erreurs ? Quelle arrogance ! Puis-je savoir à quel moment ai-je fait une erreur ? »

« Tu as permis à Earwyna de vivre dans le monde d’en-haut, alors que c’est interdit ! »

« J’ai fait ça ! Bien sûr, c’est ce pour quoi elle m’a payée ! »

« Tu lui as pris sa voix pour ne pas qu’elle puisse parler à son prince ! »

« Je lui ai pris sa voix parce que c’était le prix à payer pour le philtre. Que dis-je ? Je ne lui ai pas prise, elle me l’a donnée. »

« Tu savais qu’Earwyna courait à sa perte ! » martela Coraline sans se démonter.

« Oui, je le savais. Je lui ai même dit ? N’est-ce pas vrai, ma mignonne ? »

 

La petite sirène détourna le regard. Ses souvenirs de sa première rencontre avec la sorcière étaient de ceux qu’elle répugnait à rappeler. Mais, bien que cela ne fasse qu’ajouter à son sentiment d’échec et de honte, elle ne pouvait nier que la vieille rabougrie l’avait mise en garde.

 

« Earwyna est jeune ! Tu as honteusement abusé de sa faiblesse ! A quoi bon la prévenir si c’est pour la pousser aussitôt à l’acte ? »

 

La sorcière s’interrompit dans sa besogne et se retourna vers ses visiteurs. Son dos voûté, sa peau craquelée, son visage rachitique au milieu duquel brillaient deux yeux encore vifs, avaient quelque chose de proprement inquiétant.

 

« A quoi bon, demandes-tu ? Eh bien, princesse, à respecter le libre arbitre de ta petite soeur. Tu as l’air de penser que mon intervention est le cause de tous les maux dont elle a été victime. Mais que crois-tu donc qu’il se serait passé si j’avais refusé de lui venir en aide ? »

 

Coraline hésita un instant.

 

« Rien ne serait arrivé ! Earwyna ne serait pas allée vivre à la surface, et rien ne serait arrivé ! »

« Vraiment ? Elle a bravé tous les interdits, toutes les règles de bon sens élémentaires, et elle a tout sacrifié pour le simple plaisir d’avoir des jambes. Tu es sincèrement convaincue qu’avec une volonté pareille, elle en serait restée là ? »

« Sans jambes, elle n’aurait pas pu vivre à la surface. » s’entêta Coraline.

« Elle y est bien allée sans voix. Pourquoi pas sans jambes ? »

« Cesse donc ces réponses stupides, sorcière ! Je suis là pour aider ma soeur, et je ne partirai pas tant que tu n’auras pas fait quelque chose ! »

« Mais je l’ai déjà aidée... »

« Aidée ! C’est cela que tu appelles aider ?! »

« Et toi donc, petite princesse arrogante... J’ai réalisé les désirs de ta soeur... Toi qui prétends l’aider en parlant pour elle, et en prenant des décisions à sa place, peux-tu en dire autant ? »

 

La sirène serra les poings. Earwyna, quant à elle, commençait enfin à comprendre ce qu’il y avait de si terrifiant chez la sorcière : c’était sa perspicacité, sa capacité à s’insinuer dans les faiblesses d’autrui comme du poison dans les veines. Et bien que celle-ci fût en train de tenir tête à sa soeur, elle savait pertinemment que c’était elle-même que chacun de ses mots accusait. Elle mettait à jour sa lâcheté, pour se réfugier derrière son aînée, pour ne pas être capable d’assumer ses propres bêtises. Le jeu oratoire de la sorcière n’était qu’une manière de montrer qu’elle n’était absolument pas dupe.

 

« Comment oses-tu parler des désirs d’Earwyna ! Je... »

« Coraline ! interrompit tout à coup la petite sirène. S’il-te-plaît... c’est à moi de parler... »

 

Les yeux perçants de la sorcière pivotèrent lentement pour venir considérer Earwyna, et sa bouche s’étira en un hideux sourire.

 

« Ah ! s’exclama-t-elle, visiblement réjouie. La petite sirène se réveille enfin ! Ce n’est pas trop tôt ; je déteste traiter par intermédiaires... »

 

Earwyna put sentir sa soeur aînée bouillir de rage, mais elle lui lança un regard suppliant afin qu’elle reste silencieuse. Puis elle prit une profonde inspiration d’eau salée.

 

« Sorcière, je... je veux revoir mon prince. »

« Rien que ça ! La belle affaire... Je t’ai pourtant laissée le choix – une fois de plus – avec ma dague ensorcelée. Pourquoi ne l’as-tu pas rejetée à l’eau ? »

 

Les joues de la princesse s’empourprèrent. Elle tenta de soutenir le regard de la sorcière, mais n’en trouva pas la force.

 

« Je... J’ai pris peur... »

« Ah, la peur ! Que d’idioties ne fait-on pas par peur ! Ca ne vaut pas que pour vous, mes petites sirènes : même les humains, qui se targuent de leur âme éternelle, et qui se croient les maîtres du monde, même eux se laissent dévorer par le spectre sordide de la peur. Et c’est ainsi qu’ils érigent des murailles, et qu’ils mettent des serrures sur leurs portes, et qu’ils s’entretuent joyeusement à la guerre... Tout ça, juste pour se rassurer ! »

« Ils ne sont pas tous comme ça ! protesta Earwyna, piquée à vif. Nous ne sommes pas tous comme ça... »

« Ah oui ? Et ton prince, là, pourquoi crois-tu donc qu’il a fini par te rejeter ? Et moi, pourquoi crois-tu que je suis obligée de vivre dans ce coin pourri, abandonné de tous, au lieu de mener une vie mondaine à la cour, comme vous deux ? »

« Regarde-toi dans un miroir » cracha Coraline à mi-voix.

 

La sorcière ricana, et s’en retourna vers son établi.

 

« L’insulte, l’arrogance, le mépris... Ce sont vos armes à vous, petites princesses qui ne savez rien faire d’autre que gesticuler. Toi, la grande, jamais tu ne sauras ce que c’est que d’être vilipendée, haïe de toutes parts. Tu penses certainement que je mérite mon sort, car je suis mauvaise, cruelle, ou que sais-je... Oui, c’est ce qu’on apprend aux petits ondins. Je me rappelle encore les femmes du village, qui punissaient leurs enfants si jamais ils croisaient mon regard. Et comment elles mettaient leur imagination florissante à m’inventer les pires méfaits qu’on ait vu de mémoire de sirène. Elles échafaudaient des choses d’une telle atrocité, que même toute ma rancune ne pouvait en concevoir de pareilles... Ah ! Encore de la peur... »

« Tu ne nous feras pas croire que tu es blanche comme neige, répliqua vivement Coraline. Toutes les rumeurs ont une part de vérité. »

« Et toi, que tout le monde admire tant, es-tu si pure que l’on veut bien le croire ? Nous avons tous une part d’ombre en nous... Seulement, il y a des gens chez qui on préfère l’ignorer. Et d’autres chez qui on préfère la voir... plus grande... beaucoup plus grande qu’elle ne l’est en réalité. »

 

Coraline s’esclaffa.

 

« Comme tu parles bien, sorcière. Te voilà devenue pauvre victime. »

« Victime ? Qui a dit victime ? Je n’ai jamais été une victime. J’ai été actrice de ma propre déchéance. J’ai appris la sorcellerie, dans l’idée de me venger de tous ces misérables qui me faisaient mener une vie infernale... J’ai bien jeté quelques mauvais sorts, mais je n’y prenais pas goût, tout cela était trop facile, c’était me rabaisser à la cruauté de ceux que je méprisais. Alors j’ai changé d’idée. J’ai mis mes compétences au service des autres. Je m’occupais de toutes les affaires, disons... gênantes, ou insolubles par des moyens naturels. Les gens venaient chez moi me demander toutes sortes de sottises farfelues, un philtre d’amour par-ci, une potion de guérison par-là... C’étaient ces mêmes gens qui, en public, crachaient des pintes de venin à mon encontre. Et là, je pouvais rire d’eux. Leur mépris pouvait alors glisser sur moi pour mieux repartir dans leur direction. »

« Pourquoi vous a-t-on chassée, si vous rendiez service ? » demanda Earwyna.

« Tout finit par se savoir, petite sirène... Et lorsque les gens de bien se sont aperçus que j’en savais assez pour déshonorer sans effort la moitié du village... ils ont demandé au roi – ton cher père – de me chasser, pour quelque obscur motif bien digne de leur hypocrisie. Ah ! C’était tellement commode que j’en aurais ri aussi, si je ne m’étais pas faite lyncher en place publique. Les années ont passé et je n’imagine que trop bien comment, au royaume, on a entretenu cette tradition de raconter les pires horreurs à mon sujet. Il faut bien que les courtisans se distraient un peu... »

 

Les deux sirènes restèrent silencieuse. La sorcière leur lança un regard malicieux en ajoutant :

 

« Et pourtant, on vient encore me voir cà et là pour de menues besognes... sans jamais manquer à la politesse élémentaire de me châtier abondamment à chaque visite. »

« Je ne fais rien de tel ! » protesta Earwyna une fois de plus.

 

Cette fois-ci, c’est la sorcière qui accusa un moment de silence. Les deux soeurs échangèrent un regard incertain.

 

« Il est vrai, petite. Tu es la seule depuis bien longtemps à t’être présentée à moi avec humilité. Et j’ai beau ne pas être d’une attitude avenante, j’ai su apprécier ce geste à sa juste valeur. Raison pour laquelle je t’ai finalement rendue ta voix, par ailleurs. »

 

Surprise, Earwyna se tourna vers sa soeur. Celle-ci haussa les épaules.

 

« Ce n’est pas ce qu’elle nous a dit. »

« Je ne suis pas femme à partager facilement mes états d’âme, déclara nonchalamment la sorcière. Mais, comme je l’ai dit plus tôt, rien ne m’obligeait à le faire. »

« Ca y est, la sorcière des mers est un bon samaritain... » murmura Coraline d’un ton désapprobateur.

« Je ne l’ai pas fait par générosité, plutôt... par pitié. Ce n’est pas toi, la grande, qui peut savoir ce que ça fait d’être seule au monde... et encore moins en étant muette, par-dessus le marché. »

 

Un long silence suivit cette déclaration, durant lequel on ne put rien entendre d’autre que le cliquetis des instruments, et les bouillonnements des potions. Earwyna, en proie à une réflexion tortueuse, n’osait briser le silence. Tout à coup elle sentit la main de sa soeur saisir la sienne. Celle-ci lui lança un regard bienveillant pour l’inciter à prendre la parole. Tremblante, la petite sirène s’avança.

 

« J’ai encore besoin de ton aide, sorcière... si tu le veux bien. »

« On ne peut pas faire revenir les morts, petite sirène. L’âme de ton prince est partie au royaume de Dieu et nul pouvoir, mortel ou divin, ne peut l’en faire revenir. »

« Tu... tu ne peux m’aider, alors ? »

 

La sorcière ébulla.

 

« Ah, toi ! Tu viens toujours me voir avec des cas impossibles. Se changer en humain, se rechanger en sirène, et maintenant ressusciter un défunt ! Je suis une sorcière, pas un démon ! »

« N’y a-t-il aucune solution... aucun espoir... ? »

« J’ai peut-être une idée, répondit la sorcière après un moment de réflexion. Mais cela ne sera pas sans risque. Ce sera même extrêmement dangereux. »

« Je ferais ce qu’il faut. »

« C’est déjà ce que tu disais la dernière fois... Tâche de donner un peu de suite à tes idées avant de t’engager sur un chemin inconnu. »

 

Earwyna se renfrogna. La sorcière ouvrit une armoire, et commença à fouiller dedans. Elle en sortit des tas de parchemins, faits de feuilles d’algues au vert pâle, et tracés de symboles : les glyphes ondines, qu’Earwyna n’avait jamais pris la peine d’apprendre sérieusement. Elle les déroula les uns après les autres, les parcourant brièvement du regard.

 

« Laisse-moi t’expliquer ce à quoi je pense. Il n’est pas possible de défaire ce qui a été fait, en revanche il peut parfois être possible de... le refaire. »

« Qu’est-ce que cela signifie ? »

« Je ne puis ramener ton prince à la vie, mais j’ai souvenir d’une forme de magie très ancienne qui permettrait de... retourner dans le passé. »

« Retourner dans le passé ? »

« Ainsi que je te le dis. Tu pourrais donc revivre les événements, et orienter tes choix différemment... avec l’espoir d’obtenir une issue plus favorable. Te donner une seconde chance, en somme. »

 

Tandis que la sorcière continuait à fouiller dans ses parchemins, Earwyna considéra cette possibilité. Si elle pouvait revivre le moment où elle avait poignardé son prince... Elle pourrait se débarrasser de la dague, et l’épargner... et après ? Même si elle sauvait l’homme qu’elle avait aimé, cela n’empêcherait pas son coeur de se briser. Cela ne l’empêcherait pas de devenir écume au lever du jour... Mais si elle pouvait l’empêcher de rencontrer la princesse... celle qu’il avait rencontré au temple, et dont il avait cru qu’elle lui avait sauvé la vie...

 

La petite sirène n’avait pas la moindre idée de la façon à laquelle elle pourrait empêcher cette rencontre. Mais, pour la première fois depuis longtemps, il y avait de l’espoir. Elle entrevoyait une lueur, faible et fragile, certes, mais une lueur tout de même. Prise d’une excitation soudaine, elle serra la main de Coraline dans la sienne.

 

« Ne te réjouis pas trop vite, princesse, reprit la sorcière d’un ton grave. Dis-toi bien que je n’utilise pas ce genre de sortilège couramment... à vrai dire, je ne m’en suis servie qu’une seule fois... et je ne puis répondre de tout ce qu’il pourra se passer. Une fois que la magie aura opéré, tu seras seule, et je ne puis te garantir que tu réussiras à obtenir ce que tu désires. Pour être franche, je ne puis même pas te garantir que le sortilège lui-même fonctionnera correctement. »

« Mais... vous l’avez déjà utilisé, non ? »

« Oui, dans mes jeunes années, j’étais tombée sur ce parchemin, et je m’étais laissée tenter par la mesure du défi. Je l’ai utilisé sur un homme qui avait tout perdu, et qui ne voyait d’autre solution que de revenir en arrière. »

« Et... ça a marché ? »

 

La sorcière haussa les épaules.

 

« Je n’en sais rien. L’homme a perdu conscience, et c’est tout ce qu’il s’est passé. Peut-être son esprit est-il quelque part en ce monde... ou en un autre... ou alors, peut-être est-il perdu dans les limbes, damné à jamais pour avoir tenté de transgresser les lois de l’univers. »

« C’est ça que vous avez à proposer ? s’insurgea Coraline. Tenter un sortilège dont vous n’êtes même pas sûr de l’effet ? »

« Ta soeur me demande l’impossible, princesse. Il n’existe aucun moyen sûr pour réaliser l’impossible. »

« C’est dangereux, petite soeur... »

« Je sais, Coraline... »

 

Earwyna savait que, de toute évidence, elle courait certainement une fois de plus après un mirage. Mais au fond, d’elle, sa décision était déjà prise. Plutôt mourir que de continuer cette vie, à errer sans but comme une âme en peine. Plutôt n’importe quoi. Si elle devait errer éternellement dans les limbes, elle aurait au moins le châtiment qu’elle méritait pour son crime.

 

« Je veux essayer » déclara-t-elle avec résolution.

« Attends donc que j’aie retrouvé le parchemin avant d’être aussi ferme... »

« Petit soeur... tu es sûre que c’est bien là ce que tu souhaites ? »

« Coraline, tu m’as dit que j’avais la force de l’amour. Si cette force ne suffit pas à traverser le temps, alors rien n’est plus possible pour moi. »

 

L’aînée se tut, et hocha lentement la tête. Quelques instants plus tard, la sorcière brandit enfin un rouleau d’algues avec un air triomphant. Elle le parcourut longuement, tenant en haleine les deux soeurs, fébriles.

 

« Qu’est-ce que cela dit ? » s’impatienta Coraline.

« La formule permet de vivre ce que l’on a vécu une nouvelle fois. »

« Et c’est tout ? »

« En substance, oui. Je ne vois aucun explication quant au contrôle du moment auquel on souhaite revenir. Peut-être reprendras-tu conscience après l’événement que tu souhaites modifier... »

« Cela m’est égal... »

« ...ou peut-être même bien avant ; bref, tu ne le sauras que lorsque tu y seras. »

« J’y suis préparée... »

« Inutile de te préciser, je suppose, que ce voyage-là est sans retour... Si, par malheur, tu faisais encore empirer les choses... »

« Cela ne me fait pas peur... »

« Bien. Pour finir, ce sortilège te coûtera extrêmement cher... »

« J’y mettrai le prix. »

« Le prix, ma belle, c’est toi. »

 

Il y eut un silence de mort durant quelques secondes.

 

« Moi ? Que voulez-vous dire ? »

« Toi. Tout ton corps : ta peau, tes cheveux, tes yeux, tes écailles. Tout. »

« Mais... mais... »

« Seul l’esprit peut revenir en arrière ; le corps, lui, reste ancré dans la réalité à laquelle il appartient. »

« Tu en es sûre ? » demanda Coraline avec une pointe de suspicion.

« Absolument pas. Je ne fais que lire ce qui est écrit. »

« Si je vous donne mon corps... Il restera ici ? »

« Oui. Ton esprit voyagera et retrouvera le corps que tu avais auparavant. Celui que tu as aujourd’hui restera avec moi, pour me dédommager de tous les ingrédients que je vais dépenser. »

 

Earwyna resta silencieuse.

 

« C’est un marché équitable, reprit la sorcière. Si tu arrives effectivement à changer le cours des choses, alors tu n’auras plus besoin de revenir me voir. La conversation que nous avons eu aujourd’hui n’aura jamais lieu. Et donc, je ne te prendrais plus ton corps... Vois ça comme une sorte de... dépôt de garantie. »

 

La sorcière rit de sa voix éraillée à sa propre réplique.

 

« Earwyna va devoir réfléchir » lança précipitamment Coraline.

« Oui, elle devrait, approuva la sorcière. De toute manière, il me faudra un certain temps pour préparer convenablement le sortilège. Tu reviendras demain, petite sirène, et en attendant, songe bien à tout ce que tu as à perdre. »

 

La jeune princesse acquiesça machinalement, avec l’idée que le compte était vite effectué. Les deux sirènes saluèrent sommairement la sorcière et sortirent de la maison, s’éloignant à toutes nageoires. Coraline resta désespérément muette pendant tout le trajet de retour. Earwyna, quant à elle, n’avait plus rien à ajouter : tout avait été dit.

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