Au clair de l'obscur – Aki 4

Publié le par Perlune

Il est vrai que j’aurais pu y réfléchir au moment où c’était arrivé. Shunsuke n’avait pas pu s’échapper de ma chambre derrière mon dos. La seule hypothèse plausible aurait été qu’il passe par la fenêtre, sachant que du troisième étage, ça fait quand même un sacré saut. L’autre hypothèse, pas plausible du tout celle-là, c’était qu’il soit passé... à travers le mur. Si quelqu’un m’avait dit ça, je lui aurais mis une droite. Mais là, je venais de le voir avec mes propres yeux.

 

Nous étions sept dans le bureau de Nagamiya-sama.

 

Katsuo Wakahisa, syndrome d’Orgueil.

Tomoko Yukimura, syndrome de Paresse.

Shunsuke Yamauchi, syndrome d’Envie.

Reiko Hamasaki, syndrome de Gourmandise.

Yasushi Kurosawa, syndrome d’Avarice.

Manami Miyamoto, syndrome de Luxure.

Et moi. Une belle bande de bras cassés.

 

Il s’étaient tous assis autour du bureau, à part Katsuo, sans doute pour bien se faire voir, et moi, qui n’en avais pas envie. Le proviseur nous considéra tous un long moment, avant de commencer son discours.

 

« Je vous ai convoqué tous les sept, parce que vous avez tous un point commun. Vous avez tous dans vos affaires quelque chose de précieux. Quelque chose qui n’aurait pas dû échapper à la fouille que vous avez subi en entrant dans ce lycée. S’ils sont restés bien cachés dans vos chambres, c’est parce que je l’ai décidé ainsi. Je me suis dit qu’à l’insu de tous, ils seraient plus en sécurité. »

« Vous parlez de mon médaillon ? Qu’est-ce qu’il a de si spécial ? » demanda Reiko, dubitative.

« Je pense que vous le verrez bien assez tôt par vous-mêmes, Hamasaki. Commencez donc par le sortir. »

 

Incrédule, je regardai les autres sortir de leur sac, ou de leurs poches, un bijou. Ils se ressemblaient tous à première vue. A la deuxième, je m’aperçus qu’en réalité, la pierre était d’une couleur différente sur chacun.

 

C’est alors qu’il se passa quelque chose d’étrange. Le médaillon que Reiko avait sorti était orné d’une pierre rouge sang. Dès que je la vis, je ne parvins pas à en détacher mon regard. Du rubis, c’était du rubis. Quelque chose en moi criait que ce médaillon m’appartenait, qu’il était à moi. Le rubis, c’était moi. Dans un élan incontrôlé, je me jetai en avant et m’emparai dudit médaillon. Reiko ne sembla pas s’en formaliser, elle-même hypnotisée par Katsuo et son médaillon bleu. De toute façon, je m’en foutais. J’avais récupéré mon médaillon. Immédiatement, un sentiment de grand soulagement m’envahit.

 

Tout se passa en quelques secondes. Comme moi, chacun s’était jeté sur le médaillon que tenait un autre. Et, tout aussi bizarrement, personne n’avait cherché à retenir sa possession d’origine – sauf Yasushi, évidemment, qui tenait farouchement un médaillon blanc hors de portée du bras paresseux de Tomoko.

 

« Allez, donne... » gémissait-elle avec un manque d’entrain absolument consternant.

 

Nagamiya-sama dut intervenir, et promit à Yasushi une sanction exemplaire s’il continuait à céder à son Avarice de la sorte. Ce différend réglé, nous nous regardâmes tous. Nous nous sentions tous un peu bêtes, je pense. Nagamiya-sama, elle, semblait particulièrement satisfaite.

 

« C’est bien ce que je pensais, dit-elle. Vos médaillons ont été mélangés à la naissance. »

 

Reiko fronça les sourcils.

 

« Mélangés ? Vous voulez dire que... nos familles se connaissent toutes ? »

« C’est probable. En tout cas, on ne peut pas nier qu’ils ont tous été conçus par la même personne. »

 

En examinant de plus près le médaillon au rubis que j’avais soutiré à Reiko, je ne pouvais qu’approuver. Il était en tous points semblable à celui que j’avais gardé avec moi pendant toutes ces années, à part la pierre, bien entendu. Et le message, lui aussi, était différent. Il disait : « Je conquiers l’invincible ». Je ne sais pas pourquoi, mais ce message-là me semblait particulièrement parlant.

 

Shunsuke, qui avait piqué mon ex-médaillon, dut se faire la même réflexion, car il s’écria aussitôt :

 

« Je traverse l’infranchissable... Comme j’ai fait, en traversant le mur ! »

 

Les regards de ceux qui n’avaient pas assisté au miracle se tournèrent vers lui.

 

« Quoi ? C’est vrai ! J’ai des témoins ! »

« Je pense que ces médaillons peuvent conférer à leur porteur des pouvoirs qui dépassent notre entendement, intervint Nagamiya-sama. Des pouvoirs qui vous mettent potentiellement au-dessus du reste de l’humanité. »

« Vraiment ? s’écria Katsuo, visiblement très intéressé. Mais... comment est-ce possible ? »

« Je suppose que vous avez entendu parler de la légende des Seigneurs de la Loi. Celle qui dit qu’il y a longtemps, les forces du Chaos ont tenté d’asservir notre monde. Heureusement, sept héros hors du commun se sont dressés contre elles, et les ont repoussées. Sept héros porteurs de gemmes magiques, qui leur donnaient des pouvoirs surnaturels. Chacun d’eux possédait une vertu qui le rendait incorruptible par la malice des Chaotiques. En fait, c’est eux qui auraient fondé les lois de notre monde de vertu, afin d’éviter que le peuple puisse être à nouveau corrompu, si jamais le Chaos revenait... »

 

Il y eut un moment de silence.

 

« Ce n’est qu’une légende », lâcha Reiko.

« Peut-être, mais la réunion de ces sept médaillons, et le fait que vous ayez chacun trouvé le vôtre, sans prendre la peine de vous concerter, ne fait que confirmer ma théorie : vous êtes les héritiers des Seigneurs de la Loi. »

 

A nouveau, un instant de flottement. Et puis, je ne sais pas ce qui m’a pris. Je me suis mise à rire. Pas sarcastiquement, pour de vrai, de bon coeur. Tout ça était trop absurde. Trop bizarre. Trop délirant. J’étais sur le point de me faire enfermer à vie, et là on m’annonçait que j’étais une élue chargée de sauver le monde, tout ça parce que je tenais entre mes mains un pauvre bijou qui faisait vaguement penser à une légende créée de toute pièce pour laver les cerveaux des jeunes enfants. A croire que Nagamiya-sama elle-même s’ennuyait dans ce monde trop parfait, et ressentait le besoin urgent de se monter un gros trip.

 

Je ris pendant un bon moment. Tous me regardaient, dubitatifs. Ca me faisait rire encore plus.

 

« Qu’y a-t-il, Ishikawa ? » demanda le proviseur.

 

J’inspirai un bon coup pour me calmer, puis plantai mes yeux dans les siens.

 

« Nagamiya-sama... vous nous prenez vraiment pour des abrutis finis ! »

 

Bizarrement, elle rit aussi.

 

« Je n’oserais pas penser ça des Seigneurs de la Loi... »

« Vous n’avez pas l’impression qu’il y a un petit problème ? intervint Reiko. Vous nous dites que vos Seigneurs de la Loi représentaient chacun une vertu, et vous nous dites que nous sommes leurs héritiers... vous nous avez bien regardés ? »

« De mon expérience dans ce lycée, je n’ai jamais vu deux pécheurs qui se ressemblaient. J’imagine que même des cas désespérés comme vous peuvent avoir certaines qualités... »

« Pourquoi vous nous dites tout ça ? demanda Yasushi. Qu’est-ce que vous attendez de nous ? »

« J’en ai déjà parlé à Ishikawa... mais ça n’a pas eu l’air de l’inspirer outre mesure. »

 

Tout les regards se tournèrent vers moi. Tous autant qu’ils étaient, je les soutins. Nous étions sept pécheurs désespérés, chacun avec son propre bracelet, taches entre les taches dans un monde de paix et d’amour. A force d’oublier la violence, la méchanceté, l’envie, ce monde trop parfait était devenu inoffensif. La Légion Noire allait le balayer d’un seul coup. Quelques jours pour détruire le résultat de siècles de construction. Toute l’histoire de ma vie.

 

Alors, c’était à nous, les pécheurs, nous qui nous rappelions comment être méchants, égoïstes, cruels, envieux, que l’on demandait de sauver la mise. Quelle ironie.

 

« On dirait que votre monde de vertu a bien besoin d’un peu de péché » lançai-je à l’adresse de Nagamiya-sama.

« Si vous réussissez, vous reviendrez en héros. Les gens vous considèreront sous un jour différent. Et puis, vous pourrez changer les règles qu’ont instaurées vos ancêtres... Après tout, c’est votre vocation, en tant qu’héritiers de la Loi... »

 

Changer le monde... Aucun doute, Nagamiya-sama avait la conviction que nous allions y rester.

Publié dans Ecritures

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J
<br /> Bienvenue dans la communautés "Pensées d'ailleurs"<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Merci! :)<br /> <br /> <br /> <br />