Histoires d'Aurore... #3 – « Seule »

Publié le par Perlune

Aurore, mon alter ego féminin, vit au rythme de ma vie, à travers mes yeux. Je n'aime pas spécialement raconter ma vie, pas tant par pudeur, mais surtout parce que je ne vois pas qui ça pourrait intéresser; mais le fait de parler de certains moments importants de mon existence au sexe féminin, ça prend une certaine tournure artistique. Et surtout, ça révèle les choses sous un jour différent, mais qui est à mon sens beaucoup plus proche de la vérité, de ma manière de vivre les choses. Aussi, ces « Histoires d'Aurore » vous présenteront, dans un style mi-autobiographique, mi-romancé, des moments de ma vie que j'ai vraiment vécus avec un coeur de femme. Enjoy...

 

 

Apprendi, Pluviolune mourante... (16 mars)

 

Froid.

 
Je frissonne de tous mes membres, malgré le double pull que je me suis enfilée. Je résiste encore à la tentation d'allumer le poêle, ma facture de gaz de ce mois-ci est déjà suffisamment salée. Quelques minutes auparavant, je profitais encore de la chaleur humaine, mais maintenant que je me retrouve seule c'est comme si l'hiver était revenu, tout d'un coup. J'écrase un coussin dans mes bras pour me réconforter. Les sillons des larmes qui coulent dans mon cou laissent une trace fraîche qui n'aide pas. Je viens de passer une excellente soirée et je pleure comme une conne. Je suis vraiment une sacrée loque humaine.
 
Je fixe vaguement l'icône de MSN sur mon écran, à travers mes yeux embués, dans l'espoir de la voir s'allumer, signe d'une forme de vie prête à entrer en contact avec moi. Mais je sais qu'à cette heure-ci, un dimanche soir - enfin, un lundi matin, maintenant -, c'est en pure perte. La seule chose que je vois s'animer, c'est le lecteur de Deezer qui repasse en boucle la même chanson, toujours la même chanson. Letter To Dana, de Sonata Arctica. Je suis tombée amoureuses de cette chanson, elle me touche profondément. Bien que je ne sois pas sûre de comprendre le sens exact des paroles, si tant est que je sois en état de le comprendre, il y est question d'une fille qui s'est coupée de sa famille après avoir "péché", et à qui le chanteur écrit pour lui apprendre que ses parents sont morts. Et en fait, il s'avère qu'elle est morte, elle aussi. Le thème de la rancoeur, des regrets, du pardon, me retourne complètement. Et au moment du passage au piano en accord majeur, je fonds. Et je pleure de plus belle. Et j'ai encore plus froid.
 
Je revois Alexandre contenir ses larmes en me souhaitant de passer une bonne fête - sans lui. "Tu trouveras mieux que moi", m'a-t-il assuré pour la énième fois, comme pour justifier sa dérobade inopinée. Il m'a dit qu'il voulait faire une "pause" - comprenez par-là qu'il ne veut plus de moi. Je dois dire que j'ai toujours été déconcertée de la manière que les hommes ont de sortir avec moi sans me trouver à leur goût. Comme s'il s'agissait d'une oeuvre de charité. C'est dire à quel point je dois faire pitié. Donc, Alexandre me lâche, comme ça, du jour au lendemain. Mon amour, mes sourires, mes câlins, mes caresses, mes mots doux, mes poèmes, tout ça, ça doit certainement l'encombrer pour qu'il préfère s'en débarrasser. Ca me donne le sentiment d'être véritablement une petite copine bas de gamme, genre top budget, celle qu'on prend quand on n'a pas les moyens de s'en prendre une mieux, mais à laquelle on ne tient pas vraiment en fin de compte. Même avec tous mes atouts de charme déployés en grande pompe, je ne lui inspire guère plus qu'une envie de "pause".
 
Cette triste constatation ne me met même pas en colère. C'est peut-être ça le pire. Je ne déteste pas Alexandre, je ne suis pas en colère contre lui, je ne trouve pas que c'est un salaud, je n'ai pas le sentiment d'être trop bien pour lui. Simplement, il me blase. Je sais depuis le début que ce n'est pas un amoureux passionné, contrairement à moi qui ferais des folies, mais je n'imaginais pas, avec les multiples compliments qu'il me faisait, qu'il pourrait vouloir tout arrêter comme ça, avec une telle nonchalance. Ca m'épate cette simplicité et ce naturel pour dire "écoute, je crois que je ne t'aime plus". Il faut dire que la possibilité même de ne "plus aimer" quelqu'un, de préférer entretenir une relation amicale plutôt qu'amoureuse, échappe totalement à mon système de compréhension. "Je te respecte trop", me dit Alexandre, comme d'autres avant lui. Ha! Comme si entretenir une relation amoureuse c'était un manque de respect... Prétexte également pour éviter de m'offrir des caresses aux endroits les plus secrets de mon corps, malgré mon empressement à les recevoir. Comme si j'étais sale. Drôle de forme de respect, à vrai dire.
 
Une fois de plus, j'en veux à mort aux traditions judéo-chrétiennes avec leurs tabous à la con, qui ont la vie dure même dans l'esprit des athées les plus farouches. Le sexe, c'est diabolique, paraît-il. La preuve, les gens sains s'en privent. Si on suit cette logique-là, alors je dois faire partie de la garde rapprochée de Satan. D'ailleurs, en ce moment même, comme tous les soirs de solitude où je vendrais mon âme pour un peu de tendresse, je ressens le besoin irrépressible de m'offrir moi-même les caresses tant convoitées. Une activité quelque peu sordide sur les bords, mais qui fait partie de mon quotidien, et que j'accomplis régulièrement depuis d'innombrables années, avec le même naturel que manger ou dormir. C'est un plaisir comme un autre. J'aime ça. Je n'en ai pas honte. Et, comble de perversion, je suis même persuadée que c'est bien. Pour moi, le sexe, c'est quelque chose de beau, de spirituel.
 
Le désir de la chair détourne l'âme du véritable amour, nous dit-on. Mais pour moi, s'offrir à l'autre, c'est la seule preuve de véritable amour. Ce n'est pas pour rien qu'on appelle ça "faire l'amour". Ca signifie fabriquer un lien indéfectible avec l'autre, concrétiser ses sentiments par un don de ce que l'on a de plus intime. Aucun geste d'amour n'est plus véritable que celui-là. Offrir des cadeaux, ce n'est qu'une question de dépenser de l'argent. Ecrire des poèmes, ce n'est qu'une question de trouver l'inspiration artistique. Être présent, soutenir l'autre, ce n'est qu'une question d'implication. On peut donner tout ça sans craindre de se mettre à nu, en se laissant une distance de sécurité avec son partenaire, au cas où les choses tourneraient mal. Mais quand il s'agit de faire l'amour, on ne peut pas tricher, on ne peut pas esquiver, on ne peut pas faire semblant. Quand on fait l'amour, on fusionne avec l'autre, au sens propre comme au sens figuré, d'ailleurs. Faire l'amour, c'est accepter de s'abandonner en tant qu'individu, pour mieux se réaliser en tant que couple. Faire l'amour est l'unique manifestation de véritable amour. La preuve, c'est la seule chose qu'on ne fait jamais entre amis, aussi intimes soient-ils.
 
Donc, oui, j'aime faire l'amour, j'adore faire l'amour, et pas seulement par simple auto-satisfaction dopaminergique... Je trouve ça extrêmement romantique. J'ai toujours été fascinée par la manière à laquelle la nature a fait ça, dans la mesure où c'est un échange qui permet de donner du plaisir et d'en recevoir d'un seul geste. Plus on aime être avec l'autre, plus on a envie de lui donner du plaisir. Plus on lui donne de plaisir, plus on en reçoit. Et plus on en reçoit, plus on aime être avec l'autre. Une mécanique particulièrement bien huilée qui fonctionne d'elle-même depuis des millénaires. C'est peut-être ridicule, mais moi je trouve ça incroyable. Nous avons été programmés pour aimer et y prendre du plaisir. Si Dieu nous a faits comme ça, ça veut dire qu'il voulait que nous prenions ce plaisir. Comme quoi, la sexualité a bien une part de spiritualité. CQFD.
 
Sonata Arctica finit une enième fois sa chanson, me laissant toute frissonnante sur mon canapé, le visage inondé comme un champ en jachère près d'un fleuve en crue. Cette fois-ci je n'ai pas le courage de demander à mon ordinateur de m'achever à nouveau. Mon gyrus de Heschl crie grâce. Je m'essuie les yeux avec un mouchoir que j'envoie rejoindre la pile déjà bien garnie de papier blanc froissé. Je jette négligemment un oeil sur ma table nouvellement acquise. Pas de discussion possible: je rangerai tout ça demain. J'ai déjà mon lit à replier, chose que je m'empresse de faire en chantonnant nonchalamment "now you won't surprise me anymore". J'ai la voix qui vacille et je n'aime pas ça. Mais j'aime encore moins rester dans le silence total, surtout dans un moment pareil. Mon appartement, qui était encore plein de vie il y a à peine une heure, s'éteint doucement, m'invitant à un sommeil sans fin, c'est-à-dire au moins jusqu'à demain midi.
 
Je me glisse voluptueusement dans mes couvertures en me massant les pieds. Pas la partie la plus érotique de mon corps, certes, mais sans doute la plus sensible, ça me fait du bien. Je songe avec délice au jour où un homme saura prendre soin de mes pieds comme il se doit. Mon petit coeur de feu sombre alors pas à pas dans l'univers fabuleux du rêve. J'imagine des mains, des belles mains fines, des mains d'Air comme les miennes, qui se promènent le long de mon corps. J'imagine une présence chaude dans mon dos qui se presse contre moi et m'enlace tendrement. Je revois Alexandre me demander timidement si je veux bien faire l'amour. Je le sens à nouveau pénétrer tendrement en moi et m'arracher des soupirs de bien-être. Je sais que tout ça c'est fini, mais je me dis que pour une nuit, juste une nuit supplémentaire, je peux bien m'autoriser l'illusion que je suis encore aimée et désirée.
 
Je me repasse mentalement la liste des quelques garçons qui me font frémir et à qui j'ai le sentiment de plaire. J'organise mon nouveau plan de chasse pour me retrouver un partenaire avant de m'assécher suffisamment pour me laisser aller à rater mon master 1, et autres accessoires utiles à ma survie matérielle. Je répugne toujours à me dire que je traite mes conquêtes potentielles comme des pièces d'équipement, mais devant la carence romantique manifeste dont je suis victime, je me dis que ce n'est qu'un juste retour des choses. Me démener pour rendre mon homme heureux ne se solde que par des échecs, fort bien. Je sais m'adapter, essayer autre chose quand je vois que ma manière de faire ne fonctionne pas. Même si je sais pertinemment que je n'y arriverais pas, je me dis parfois qu'il faudrait que je me force à faire chier mon partenaire. Je suis trop gentille, alors les mecs se permettent tout. Si au contraire j'étais une emmerdeuse, là ils se battraient pour m'avoir. Triste paradoxe des temps modernes.
 
Je songe fugacement que je devrais tenter, une fois, de faire voeu d'abstinence pour me faire désirer davantage.
 
Quand tu t'y mets, tu imagines vraiment n'importe quoi.
 
Oh oui... n'importe quoi pour me faire oublier que je suis à nouveau seule.
 
 

Publié dans Ecritures

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