Histoires d'Aurore... #5 – « Rêve »

Publié le par Perlune

Je change de position sur ma chaise. Malgré les rires d'Anne qui emplissent la pièce de sa joie de vivre permanente, je suis mal à l'aise. Il va venir. Nous l'attendons. Et moi je l'attends avec appréhension. Anne m'a dit qu'il savait que j'étais là. Ca ne me rassure pas pour autant. J'ai peur de sa réaction en me voyant. Qu'il me fasse sentir publiquement le poids de sa rancune, ou qu'il fasse comme si de rien n'était – je ne sais pas lequel me ferait le plus mal. Alors je tâche de me laisser aller aux blagues d'Anne, qui fait mine de ne pas avoir remarqué mon humeur.

Il arrive enfin. Il salue tout le monde chaleureusement. Je lui adresse un sourire timide. Il me sourit aussi, dans son style « tu sauras pas ce que je pense ». J'ai un pincement au coeur en lui faisant la bise. Il s'assoit avec nous. Il se lance dans une discussion passionnée avec Anne. Tout le monde lui pose des questions sur ses dernières nouvelles. Moi, je reste en retrait. Je n'ose pas lui adresser la parole. Et de toute façon, il n'a aucun secret pour moi.

On en arrive finalement à aborder sa vie sentimentale. Anne s'excuse du regard : elle a tout fait pour éviter le sujet. Je ne me formalise pas. Ca ne devrait pas durer longtemps de toute manière ; il n'aime pas parler de ses histoires de coeur. Il lance soudain un trait d'ironie chargé de sous-entendus, en me regardant de manière appuyée. Je suis transpercée par son regard sombre, toujours si soigneusement dénué d'expression. Je n'ose pas croire qu'il a dit une chose pareille. Quelle cruauté de sa part. De mal à l'aise, je passe à triste. Humiliée. Et profondément blessée.

Anne se lève pour aller chercher quelque chose en cuisine. Tout le monde m'abandonne. Alors qu'elle disparaît dans son dos, il se glisse vers moi en précisant qu'il n'a pas dit ça pour moi. Je suis confuse. Je voudrais comprendre la signification du regard qu'il m'a lancé auparavant. Puis, à la vue de son sourire espiègle, je comprends qu'il a atteint son but : parvenir à me troubler. Cette constatation me trouble encore davantage, et je baisse les yeux. Mon visage s'échauffe. Je me sens tellement pitoyable. Je décide de changer de pièce pour me dérober à son regard perçant.

Il me rejoint dans la chambre, au bout du couloir. Il s'approche de moi. Je le regarde. Il me regarde aussi. Et me sourit. Avec le même sourire chaud et franc qu'il m'offrait lorsqu'il m'aimait. Je suis déstabilisée. Alors je le laisse faire, sans bouger. Je frémis lorsque ses mains me touchent. Il me caresse les hanches, le dos, les épaules. Ses mains vont et viennent sur mon pull beige aux manches trop longues. J'absorbe la chaleur de ses paumes, la douceur de ses caresses, la tendresse de son regard. Je ne suis plus mal à l'aise. Je me sens bien.

Il s'approche encore et je pose délicatement ma joue sur son épaule. Ses doigts se mettent à peigner mes cheveux, négligemment ramenés en queue de cheval. Il ne dit rien, mais les paroles ne sont pas nécessaires. Je me sens ressourcée. Une vague de nostalgie m'envahit, comme si je revenais sur les lieux de mon enfance. Alors que je suis contre lui, j'entends son coeur battre de façon ténue. Il bat toujours aussi vite que je ne m'en rappelais. Je me mords la lèvre en songeant que ce coeur a battu pour moi un jour... puis pour une autre le lendemain. Je n'ose pas lui demander ce qu'il est advenu d'elle, mais au fond de moi je le sais bien.

Je reste un long moment dans ses bras. Je me sens bien. Mais il ne parle pas. Alors je n'ose pas lui dire tout ce que j'ai sur le coeur. Ma gorge se noue et les mots s'y enchevêtrent. Je l'imagine me demandant si je l'ai attendu, et je n'oserais pas lui dire que je l'avais oublié. S'il me demande est-ce que j'ai connu un autre homme, je n'oserais pas lui dire que oui. S'il me demande si je suis mieux dans ses bras, je n'oserais pas lui dire que je n'en suis pas sûre. S'il me demande si je veux toujours de lui, je... je ne saurais pas quoi répondre...

Il continue de me cajoler silencieusement. Et moi je pense avec amertume à tout ce que je devrais lui expliquer. Je cherche comment lui expliquer que j'ai découvert d'autres choses. Je cherche comment lui expliquer que je n'ai pas encore choisi entre plaisir et amour. Je cherche comment lui expliquer mon attirance pour l'aventure et la découverte. Je cherche comment lui expliquer que j'ai peur de ne pas l'aimer comme il le voudrait. Je cherche comment lui expliquer que j'ai peur, tout court, de le décevoir, de le faire souffrir, de le perdre une seconde fois. Je cherche comment lui expliquer mes faiblesses... toutes ces choses en apparence évidentes que le temps passé ensemble n'a pas suffi à révéler.

Je sens son souffle chaud pénétrer ma peau. Ses caresses se mêler à ma chair. Son coeur battre dans ma poitrine. J'ai l'impression de ne plus faire qu'un... avec lui. Mais j'ai peur. Peur que ses cellules me considèrent comme un corps étranger. Peur de me faire expulser de ce corps qui réveille en moi tant de passion enfouie. Peur de ne pas être la greffe idéale pour lui. J'ai changé et je sais que je ne supporterais pas à nouveau les misères qu'il me faisait subir. Je sais que mon coeur ralentit un peu plus chaque jour, et que jouer à l'épouse modèle ne m'amuse plus vraiment. Il est bien loin, le temps où je me voyais princesse dévouée et prête à se sacrifier pour son aimé. Aujourd'hui mon coeur s'est dégonflé, racorni, encrassé. La magie m'émerveille de moins en moins, pour laisser place à un souci de froide efficacité. Je suis devenue une de ces apothicaires que je détestais tant. Une fille qui calcule le taux de rentabilité de ses prétendants.

Sans oser le regarder, je lâche dans un souffle un « je t'aime » vibrant. Mais pas un « je t'aime » vibrant de passion. Plutôt de désespoir, de culpabilité. Comme pour lui demander pardon de ne pas être la femme dont il rêvait. Comme pour lui demander de me tirer de ce trou d'indolence, et de me rendre à l'air libre de ma sensibilité exacerbée. Comme pour le supplier de ne pas se détourner de moi, non, pas une fois de plus... Accepte-moi, je t'en prie, accepte les restes de cette petite fille malmenée par la vie, essaie de cultiver à nouveau cette terre asséchée par la surconsommation, juste une fois de plus...

J'ai la sensation de basculer. Je me retrouve sur le lit. J'ai à peine le temps de me poser cette question réflexe : et s'il veut aller jusqu'au bout, est-ce que je dois l'arrêter...?

La sensation de bien-être que j'avais ressenti quelques minutes plus tôt se dissipa rapidement alors que je me rendais compte de cette cruelle réalité : la scène que je venais de vivre n'avait été qu'un rêve. Le bien-être disparu, seuls le désespoir et la culpabilité demeurèrent. Je soupirai en frappant mon oreiller du poing. Putain d'inconscient.

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N
j'espère ;)
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P
<br /> Ca c'est toi qui le dis! :p<br /> <br /> <br />
N
peut etre que tu as fais expres après tout notre inconscient es bien assez tordu non?<br /> sinon oui c'est vrai je connais cette problématique mais je m'étonne que tu la connaisse... bref réfléchis pas trop ça donne mal à l'estomac il parrait ^^
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P
<br /> Je ne finirai jamais de t'étonner. :p<br /> <br /> <br />
N
merci pour le partage, après tu sais mieux que moi ce que tu dois faire de ton reve ( c'est toi qui est en psycho :p)<br /> chacun réagit différement, si je faisais ce reve déjà je me reveillerai pas tellement c'est bien mais bon je suivrai mon instinct ! mais bon tu n'es pas moi et je ne suis pas toi! cqfd
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P
<br /> <br /> Parce que tu crois que j'ai fait exprès de me réveiller sans doute. XD<br /> <br /> <br /> Oui, je sais ce que je devrais en faire, mais il y a aussi ce que j'ai envie d'en faire, et les deux se contredisent, bien évidemment. Enfin je n'ai pas besoin de t'expliquer, c'est une<br /> problématique qui t'est familière je pense. :p<br /> <br /> <br /> <br />
N
comme tu dis: putain d'inconscient!<br /> Ton texte est fort, émouvant et douloureux...Il me laisse sans voix...<br /> si le but était de troubler le lecteur (ou lectrice ^^) c'est complètement réussi
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P
<br /> Le but était de partager ce rêve qui m'a troublé, et dont je ne sais pas trop quoi faire...<br /> <br /> <br />