Au clair de l'obscur – Aki 3

Publié le par Perlune

On avait vu disparaître certains élèves ces derniers mois. Sur le coup, je n’y avais pas prêté attention. Je me disais qu’après tout c’était forcément mieux dehors que dedans. Je pensais naïvement qu’ils avaient été renvoyés à leur famille, qu’ils allaient pouvoir aller dans un lycée normal, qu’ils n’auraient plus à porter ces bracelets à la con. Tu parles ! A la lumière de mon entretien avec Nagamiya-sama, tout ça prenait un sens radicalement différent..

 

La société avait trouvé un moyen élégant de se débarrasser de tout ces pécheurs qu’elle traînait comme des boulets. Pour retarder l’avancée de la Légion Noire, elle lui envoyait un contingent d’handicapés sociaux. Les syndromes de Colère, évidemment, étaient en première ligne. Ils devaient goûter la joie éphémère de pouvoir enfin exprimer leur rage à la face du monde, comme quand j’avais tabassé Yasushi, pour mieux se faire hacher menu quelques instants plus tard.

 

Nagamiya-sama avait été catégorique : c’était ça ou bien la cellule capitonnée. J’avais refusé tout net. Je n’allais pas donner ma vie pour un pays de faibles, infoutus de se défendre, sous prétexte qu’il faut tous être copains. Le proviseur avait hoché la tête. Puis elle m’avait donné vingt-quatre heures pour réfléchir. C’était tout réfléchi. J’avais fait mes valises. J’imaginais déjà un moyen de m’échapper, à un moment ou à un autre. Je pensais que je pourrais essayer d’aller ailleurs. Me jeter à la mer s’il faut, en espérant me trouver une petite île déserte. Mais qu’on me foute la paix.

 

Allongée sur mon lit, je me tournai et me retournai dans tous les sens, ressassant toutes ces pensées, tentant d’élaborer des plans fumeux, sans pourtant arriver à me départir de la sensation d’être complètement emprisonnée. Je tendis la main vers le tiroir de mon bureau, l’ouvris, et en tirai le médaillon de mes parents. Je l’avais depuis que j’étais toute petite. C’était le seul souvenir qu’ils m’avaient laissé. « Il te permettra de penser à nous quand tu te sentiras seule », m’avaient-ils dit. Autant dire qu’il avait bien servi.

 

Je contemplai le bijou. Je le connaissais par coeur, depuis le temps, mais il me fascinait toujours autant : un disque d’or strié en forme de spirale, avec une pierre précieuse verte, d’un côté. De l’autre, le même ouvrage, mais à la place de la pierre, trois épées entrecroisées étaient gravées dans l’or. Et autour, cette formule énigmatique : « Je traverse l’infranchissable ». Je ne savais pas d’où il pouvait bien venir. Mais en tout cas, celui qui l’avait fabriqué avait le sens du mystère. Je m’en foutais un peu, cela dit. Ce que j’aimais dans ce médaillon, c’était avant tout le souvenir de ma famille.

 

Soudain, on frappa à ma porte. Je me levai brusquement, rangeant le médaillon dans son tiroir avec précipitation.

 

« C’est qui ? » demandai-je.

« Aki-chan ? C’est Shunsuke. »

 

A ce moment-là, le nom ne me disait pas encore grand-chose.

 

« Qu’est-ce que tu veux ? »

« Discuter... Je peux entrer ? »

« Je n’ai pas envie de discuter ! »

« Ah bon... Je pensais que tu pourrais avoir envie de parler à quelqu’un une dernière fois avant de partir... »

 

Mon coeur fit un bond. Comment était-il au courant ?

 

« Mais bon, je vais te laisser, continua-t-il. Bon départ, j’espère que tu garderas un bon souvenir de... »

 

Mon sang ne fit qu’un tour. Shunsuke faisait exprès de parler fort. S’il continuait comme ça, l’étage allait être au courant. J’ouvris la porte de ma chambre d’un coup et le tirai à l’intérieur. Il eut l’air vaguement surpris, mais retrouva très rapidement son sourire idiot.

 

« Merci de m’avoir laissé entrer, fit-il aussitôt. C’est mignon chez toi. »

« C’est toi, le mec qui a foutu la merde tout à l’heure. »

 

Shunsuke haussa les épaules.

 

« J’ai juste piqué deux-trois biscuits. Pas de quoi en faire un drame. »

« En attendant, ton histoire pas dramatique va me faire envoyer dans un asile de dingues ! »

« C’est bien pour ça que je suis venu. Pour savoir si tu avais besoin de quelque chose. Si tu voulais un petit souvenir. »

 

Mes poings se crispèrent. Je savais que, si je continuais à le regarder, j’allais finir par lui arranger le portrait, comme j’avais fait à Yasushi, voire pire. Alors, je lui tournai le dos . Il me rendait malade.

 

« Allez, sans rancune... on fait tous des erreurs dans la vie, pas vrai ? »

« Tais-toi, Shunsuke. Je t’en prie, tais-toi. »

 

Bizarrement, il sembla sensible à ma prière, car il se tut effectivement. Je fermai les yeux pour apprécier un moment le silence, tentant vainement de mettre à profit mes thérapies de Calme.

 

« Shunsuke ? »

 

Je me retournai. Il avait disparu. Prise d’un affreux pressentiment, je fis courir mon regard sur le bureau. Tout était en place. Je me jetai sur le tiroir. Il était vide. Là, je ne pus me retenir. Mais avouez que c’était justifié, quand même.

 

« SHUNSUKE, ÉSPÈCE DE BÂTARD !!! »

 

Sans plus attendre, je déboulai dans le couloir. Je traversai le dortoir en courant, dévalai les escaliers quatre à quatre, parcourus le hall en quelques secondes, bousculant sans ménagement toute personne qui se trouvait sur mon chemin. Je n’avais pas la moindre idée d’où est-ce que Shunsuke avait bien pu partir, mais j’étais décidée à le retrouver. De toute façon, je courais sûrement plus vite que lui.

 

Au détour d’une porte, je percutai un mec de plein fouet. Nous tombâmes tous les deux à la renverse. Je le reconnus instantanément : c’était le gars qui avait essayé de sauver la tête de Yasushi. Il dut me reconnaître aussi, car il s’écria aussitôt :

 

« Ah, c’est toi ! Tu ne peux pas faire attention où tu mets les pieds ? »

« J’ai pas que ça à faire ! Je suis pressée, ça se voit pas ?! »

 

J’allais repartir, mais il m’arrêta.

 

« J’exige des excuses immédiates ! »

« Va chier ! »

« Je ne bougerai pas. »

 

Il me saisit fermement le bras. En essayant de me dégager, je remarquai la couleur de son bracelet. Orange. Et merde. Un syndrome d’Orgueil

 

« Je suis désolée ! criai-je, pas désolée le moins du monde. Lâche-moi maintenant, abruti ! »

« Hors de question ! Tu vas t’excuser à nouveau pour ça ! »

 

Mes bras étant paralysés, j’eus naturellement le réflexe d’utiliser mes jambes. Je lançai le pied, il cria, et se plia en deux.

 

« Je suis désolée, j’ai pas fait exprès ! » hurlai-je avec hargne en m’éloignant à nouveau.

 

Dopée par l’adrénaline, je fis le tour des deux premiers étages, sans apercevoir trace de Shunsuke. Entre temps, j’entendis vaguement le haut-parleur demander différents élèves, dont les noms m’étaient vaguement familiers. Je parvins finalement au troisième, et ce que j’y trouvais me sidéra.

 

Nagamiya-sama, le proviseur, se tenait au milieu du couloir, et discutait tranquillement avec Shunsuke, qui avait l’air excité comme une puce. Yasushi, le visage plein de pansements, était là aussi. C’est lui qui m’aperçus en premier. Nagamiya-sama se tourna vers moi.

 

« Ah, Ishikawa, fit-elle. Vous êtes rapide. »

 

Je serrai les dents et les poings.

 

« Avant de vous énerver inutilement, attendez les autres, et vous comprenez tout. »

 

Je ne savais pas à quoi le proviseur jouait, mais je n’avais pas du tout envie de jouer avec elle. Je m’élançai vers Shunsuke et, avant qu’il n’ait l’occasion de réagir, je l’attrapai par le col et le plaquai au mur.

 

« Ishikawa ! » cria le proviseur.

 

Je m’en foutais. Mon sort était déjà réglé. Autant profiter de mes derniers instants de liberté. J’armai mon poing, prête à transpercer le crâne de Shunsuke contre le mur. C’est à ce moment-là, je crois, que j’ai vraiment compris que les choses allaient se compliquer. Car, avant que mon poing ne percute violemment la paroi, je sentis le corps de Shunsuke m’échapper, pour s’y fondre.

 

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