Au clair de l'obscur – Aki 2

Publié le par Perlune

Le bureau de Nagamiya-sama était entièrement blanc. La lumière blanche mettait en valeur les murs blancs, et se reflétait dans une série de miroirs encadrés de blanc. Même les plantes étaient blanches, comme dans la plupart des parcs municipaux. Des poissons blancs fluorescents évoluaient dans un aquarium éclairé de tous les côtés. Nagamiya-sama elle-même portait un costume blanc, pour ne pas trancher avec le décor. Même sa peau était pâle, à moins que ça ne soit un effet du maquillage. Seule singularité, autour de son cou, un pendentif doré représentant une épée traversant une perle rouge de part en part. Le symbole de ceux qui ont vaincu la colère. La légion d'honneur des grands calmes.

 

« Ishikawa, dit-elle en me voyant. Entrez, je vous en prie. »

 

Je n'aimais pas le bureau de Nagamiya-sama. La lumière ambiante me faisait mal aux yeux et m'excitait. Et le proviseur, fidèle à sa vertu, avait tendance à prendre son temps, et donc à perdre le mien.

 

Elle me fit asseoir, et me servit un verre d'eau, auquel je ne touchai pas.

 

« Comment allez-vous ? » me demanda-t-elle.

 

La banalité affligeante de cette question me prit de court. Je restai un moment en arrêt.

 

« Pas mal. »

 

Evidemment, c'était complètement faux. Mais je n'aurais pas pu être sincère à ce sujet sans m'énerver une fois de plus.

 

« A la bonne heure. Je suppose que vous savez pourquoi vous êtes là. »

« J'ai une petite idée. »

« Vous savez que vous risquez gros. »

« Sans blague. »

« Ne soyez pas arrogante, Ishikawa. Vous ne voudriez pas porter un bracelet supplémentaire. »

 

J'inspirai profondément.

 

« Venez-en au fait. Vous allez me faire quoi ? »

« Je pourrais vous envoyer en détention soutenue. Pas dans un établissement scolaire, comme ici, mais plutôt dans un hôpital. Vous seriez enfermée dans une cellule pour forcenés, toute la journée. »

 

Je dois avouer que, sur le coup, je n'en menais pas large. J'aurais vendu mon âme pour échapper à ça. Mais, par défi, j'ai répondu :

 

« Allez-y ! Je ne suis plus à ça près. »

« Vraiment ? Vous valez mieux que ça, Ishikawa, et je le sais. »

« Arrêtez avec vos grands discours, pour vous je ne suis qu'une handicapée. »

 

Nagamiya-sama se leva et se mit à contempler le paysage d'un air songeur.

 

« On a dû vous expliquer comment on concevait les enfants il y a encore un siècle... et surtout pourquoi on a arrêté. »

« A cause des anomalies génétiques. Je ne suis pas ignare. »

« Exact. Parmi ces anomalies génétiques, certaines rendaient les gens hemétiques, complètement dans leur monde, et incapable de communiquer avec les autres. »

« Pourquoi vous me dites ça ? »

« Eh bien, étrangement, la plupart de ces personnes développaient un don extraordinaire, par exemple pour la musique. Ils étaient des virtuoses, ou des génies, malgré leur incapacité à vivre en société. Curieux, n'est-ce pas ? »

 

Je ne répondis pas.

 

« Découvrir ceci m'a beaucoup fait réfléchir, reprit Nagamiya-sama en me fixant de son regard perçant. Si une atteinte sévère appelle un grand talent, alors... vous avez beaucoup de potentiel. »

« Désolée, la musique ne m'intéresse pas. »

« Oh, mais je ne pensais pas à ça. Vous êtes un cas marqué par le péché, c'est pour faire le mal que vous devriez être compétente. »

 

A ce point-là de l'entretien, j'étais loin de me douter de ce qui allait suivre. J'avais juste envie de me barrer, et la proviseur me soûlait avec ses grands discours. Je secouais les jambes et les pieds, trépignant sur place, et attendant avec impatience que ça se finisse.

 

« Vous avez sans doute entendu parler de la Légion Noire ? »

 

Mes jambes s'arrêtèrent net. J'avais entendu parler de ça, oui. Il y avait une rumeur comme quoi une armée venue d'on ne sait où ravageait le nord du pays. D'après ce qu'on en disait, c'était des espèces de démons à la peau noire, qui détruisaient tout, et massacraient tout le monde sur leur chemin. Pourquoi, personne n'en savait rien. Mais dans notre monde où personne n'osait faire de mal à qui que ce soit, ça faisait tache.

 

« Ce n'est qu'une rumeur » rétorquai-je.

« Bien sûr. Ce n'est qu'une rumeur, parce que le gouvernement veut éviter la panique générale. Que feriez-vous si vous appreniez au bulletin d'informations que la sécurité de notre pays est menacée par une armée sanguinaire dont on ignore les motivations ? »

 

Une réponse me vint immédiatement, mais je me retins juste à temps de la prononcer. Plutôt que de lancer « j'irais les rejoindre ! », je me rabattis sur quelque chose d'un peu moins provocant :

 

« J'irais les combattre ! J'irais défendre le pays, au lieu de me sauver comme une lâche ! »

 

Je m'attendais à ce que Nagamiya-sama me rappelle à l'ordre. Mais, au lieu de ça, elle esquissa un sourire satisfait. Agréablement surpris, même.

 

« Vous voyez... nous pouvons nous entendre, parfois. »

 

 

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