One-Shot Story #2 - Tu n'es pas seule...

Publié le par Perlune

Pour mes fidèles lecteurs, voilà la suite de ça...

 

Les années ont passé et Rachel, passé le traumatisme lié à la découverte de son don, a appris quelques choses importantes à son sujet. Entre autres, elle sait maintenant qu’il est lié à diverses contraintes. Les plus importantes sont : pour qu’un écrit se réalise, il doit être écrit au temps du passé ; le support d’écriture n’a aucune importance mais l’écrit doit être dans un langage intelligible et dénué de faute de syntaxe ou d’orthographe ; l’auteur de l’écrit doit être référence à la troisième personne, la première personne désignant l’écrit lui-même.

 

 

Rachel avait une mine sombre sur le chemin de sa maison. Sa mère allait encore la disputer à cause de la mauvaise note en expression écrite qu’elle ramenait dans son sac. « Trop fantaisiste », avait simplement commenté son professeur. Elle ne lui avait pas rétorqué qu’elle l’avait fait exprès. Ni lui ni sa mère ne pouvaient comprendre pourquoi elle ne pouvait se résoudre à raconter des histoires qui se passaient dans le monde réel. Avec ses contes de fées dans des univers oniriques où tout se terminait toujours bien, elle avait au moins l’assurance de ne pas se rendre responsable d’un désastre dont elle entendrait parler à la télévision quelques jours plus tard.

 

Des échos de cris la tirèrent de sa méditation. Elle s’arrêta et tendit l’oreille. On aurait dit une violente dispute entre deux enfants. Cela arrivait quelquefois dans le quartier, mais Rachel décida d’aller jeter un oeil, par acquis de conscience. Elle tourna à l’angle de la rue et s’aventura dans l’allée du petit parc. Elle trouva celui-ci désert, à l’exception de deux jeunes garçons Le premier était assis tranquillement sur un banc, et dévisageait d’un air narquois le second, qui se tenait debout, à ses côtés, et l’invectivait violemment. Rachel n’eut aucun mal à reconnaître ce dernier : c’était son propre frère, Jason. Il avait les poings serrés et le visage écarlate. L’autre garçon avait vraiment dû le contrarier.

 

Rachel héla son frère. Dès qu’il l’aperçut, Jason poussa un profond soupir, dont la jeune fille ne sut dire s’il était de soulagement ou de dépit.

 

« La grande soeur de Writer qui vient à son secours, ricana le garçon assis sur le banc. Comme c’est mignon. »

 

Bien que mesquine, la flèche empoisonnée ne manqua pas sa cible.

 

« J’ai pas besoin d’elle ! Tu vas me rendre mes cartes tout de suite ou je te démolis, espèce de... »

« Jason ! » s’écria Rachel, lui évitant de justesse de se laisser aller à la grossièreté.

« C’est bon, fous-moi la paix ! T’es pas ma mère, okay ? »

 

La jeune fille se retint de répliquer à son frère que leur mère serait certainement charmée de voir comment finissaient ces fameuses cartes à collectionner qu’il allait acheter comme des petits pains dans une boutique du coin, et qui engloutissaient chaque mois une véritable fortune. Elle préféra l’ignorer et se tourna vers le présumé voleur :

 

« Je peux savoir ce que tu lui as fait ? »

 

Le garçon leva vers Rachel des yeux innocents et, avec un grand sourire débordant de suffisance, lui répondit :

 

« Rien... Writer a joué des cartes contre moi, et il a perdu, alors je les ai prises... »

« On avait dit ‘notre meilleure carte !’... et tu m’en as pris cinq ! »

« La plus forte de tes cartes minables n’arrive pas à la cheville des miennes, il faut bien que tu te mettes à niveau... »

« Espèce de... ! »

 

Rachel arrêta son frère une seconde fois et tendit la main en direction du gamin arrogant :

 

« Alors si elles sont si minables que ça, donne-les moi. »

« Pas question. Je les ai gagnées. Et puis les cartes ne s’échangent qu’en gagnant une partie. »

« Ah, vraiment ? siffla la jeune fille en s’approchant, menaçante. Tu veux peut-être aller faire une partie contre un officier de police ? On va voir si tu arriveras à garder tes cartes longtemps face à lui... »

 

Le sourire du gamin se changea en grimace. Il soutint un moment le regard de Rachel, puis tourna les yeux vers Jason, puis sur le paquet de cartes qu’il tenait en main. Réajustant son sourire, il se leva finalement.

 

« Franchement, pleurer pour ces pauvres cartes, tu es pathétique, Writer. »

 

Sur ces paroles, il chercha quelques cartes dans son paquet et les posa dans la main de Rachel. Une, deux, trois, quatre.

 

« Tu en dois cinq », rappela la jeune fille.

 

Le gamin replongea le nez dans son paquet et, de mauvaise grâce, en sortit une cinquième carte. Puis il s’éloigna nonchalamment en ignorant superbement la basse insulte que Jason ne put s’empêcher de lui envoyer aussitôt. Rachel rouspéta énergiquement.

 

« Rends-moi mes cartes » lâcha-t-il simplement.

 

La jeune fille examina les morceaux de carton.

 

Franchement, qu’est-ce qu’ils leur trouvent, tous ?

 

Alors, son regard fut attiré par la carte qui se présentait immédiatement à elle. Son design était très élégant, et l’illustration, représentant un dragon planant au-dessus d’un océan illuminé par un soleil radieux, était fort agréable à l’oeil ; néanmoins, ce n’était pas cela qui avait retenu son attention, mais plutôt le texte qui figurait sur une sorte de rouleau de parchemin.

 

« ...les créatures non-volantes ne pouvaient pas me bloquer... »

 

Et, plus bas :

 

« ...lorsqu’une créature changea de position, toutes les créatures adjacentes en changèrent également... »

 

Rachel n’avait aucune idée a priori de la signification précise de ces phrases. En revanche, la façon à laquelle elles étaient rédigées la frappa instantanément. Les temps du passé, la carte qui parlait pour elle-même, comme si elle avait une existence propre... Ces formulations singulières lui rappelaient étrangement les Règles. Elle se souvint également de la Règle Troisième, qui concernait le support : « ...il pouvait être Écrit sur n’importe quel support, pour autant que l’Écrit fût de langage, intelligible et exempt d’erreur, ainsi que défini par la forme de langage choisie... » A cet instant, elle s’était demandée sur quoi d’autre que du papier pourrait-on bien vouloir Écrire ; mais elle avait peine à croire qu’elle tenait peut-être entre ses mains un élément de réponse.

 

Comment était-il possible qu’un éditeur de jeux de cartes à collectionner eût vent de son don d’Écriture, et des Règles qui le régissaient ? Impossible... et pourtant la coïncidence était plus que troublante. Grand-mère lui avait bien dit qu’elles n’étaient pas les seules... y avait-il quelqu’un qui partageait son don, qui avait participé à la fabrication de ces cartes ?

 

Jason, qui s’impatientait, arracha les cartes des mains de sa soeur.

 

« Tu peux pas te mêler de tes affaires, pesta-t-il. Il t’a même pas rendu les bonnes ! »

« Un merci suffira », rétorqua Rachel d’un ton pincé.

« Cours toujours. »

 

Le jeune garçon reprit le chemin de la maison en traînant des pieds. Sa soeur lui emboîta le pas. Elle essaya de détourner ses pensées des mystérieuses cartes qu’elle venait de sauver au profit de son ingrat de frère, en vain. Ce jeu cachait quelque chose, quelque chose qu’elle ne pouvait pas ignorer. Elle hésita longuement, puis se résolut finalement à s’enquérir auprès de Jason.

 

« Il s’appelle comment, ton jeu de cartes, là ? »

« Qu’est-ce que ça peut te faire ! »

« Je te pose juste une question ! Tu me dois bien une réponse... »

« Tu sais pas lire ?! »

 

De mauvaise grâce, le jeune garçon tira une carte de sa poche et en montra le dos. Celui-ci représentait une couverture de livre, remplie d’image et de symboles étranges. Et, à la place du titre, on pouvait lire, en lettres dorées :

 

Dreamers CCG.

Publié dans Ecritures

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